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Münster

Publication date: 2016-03-01

Author:

Van Gelder, Hilde

Abstract:

Münster / Note d’intention Origine du projet Depuis une quinzaine d’années, comme artiste plasticien et réalisateur, je m’intéresse à l’utopie. J’ai d’abord réalisé Félicité, une vidéo interactive qui avait pour cadre le jardin de la Villa Médicis à Rome. Des personnages évoluaient dans ce décor idyllique accompagnés par une voix évoquant la longue quête d’un bonheur collectif. Ce texte était fait d’emprunts à l’histoire, à l’ethnologie, à la littérature ou aux écrits politiques. C’est alors que j’ai constaté que les utopies les plus sympathiques étaient fondées sur un principe d’abolition : abolition de l’état, de la propriété, de la famille, etc. Suite à cela, j’ai eu l’idée d’amorcer l’inventaire des société, imaginaires ou réelles, ayant procédé à de telles abolitions ou étant dénuées des institutions concernées. Cela a donné abolitions.net, une petite encyclopédie participative dans laquelle ces institutions absentes (commerce, frontière, travail, etc.) forment de nombreuses entrées, ouvrant le champ vers une immense étendue de possibles. C’est au gré de ces recherches que j’ai découvert un étonnant épisode médiéval : le règne des anabaptistes de Münster. Cette épopée, passionnante à bien des égards, s’est imposée à moi comme le sujet d’un nouveau projet. Münster, l’histoire J’ai voulu raconter cette histoire vraie : l’instauration d’un régime communiste au XVIe siècle dans le nord de l’Allemagne. Cette utopie réalisée, tout comme sa fin tragique, préfigure de nombreux épisodes de l’Histoire récente. Mais ce qui m’a donné envie de la raconter, c’est la façon dont elle conjugue croyances mystiques et idéalisme social. Cette surprenante imbrication rend cette aventure à la fois fascinante et exemplaire (a-t-on la foi quand on espère les lendemains qui chantent?). À cela s’est ajouté le défi que représente le récit historique. Comment rendre compte de ce que l’on sait sans nier que l’on ne sait pas tout? Comment évoquer une époque révolue sans produire des images donnant l’illusion d’une vérité? En effet, que s’est-il réellement passé dans cette ville de Westphalie de 1533 à 1535? Depuis deux siècles, les historiens travaillent à s’approcher de la vérité. La difficulté de cette recherche tient à ce que, comme souvent, les documents disponibles sont ceux des vainqueurs. Le règne de ces anabaptistes qui avaient instauré la communauté des biens s’est achevé par leur anéantissement. La plupart de leurs publications ont été détruites. Les textes qui nous sont parvenus sont des témoignages partisans ou des comptes-rendus d’interrogatoires, souvent menés sous la torture. Même si l’on se fait aujourd’hui une idée relativement précise de ce qui s’est passé, des débats subsistent. Comme souvent, la vérité historique n’existe donc pas. Et c’est à partir de cette incertitude que j’ai conçu un premier projet : un film. Münster, le film Ce film met en scène deux assiégeants qui observent la ville depuis une colline. L’un des deux est un narrateur qui raconte à son compère les événements qui se déroulent. Ces séquences paisibles et colorées alternent avec d’autres, monochromes, qui figurent les événements se déroulant à l’intérieur de la ville. Il y a ainsi un film dans le film : l’un, en couleur, figurant le présent des assiégeants, et l’autre en noir et blanc, qui nous propose une version mythifiée de l’utopie anabaptiste et de son issue tragique. Et effectivement, une séquence centrale nous fait découvrir que le deuxième film est projeté sur un écran installé sur la colline des assiégeants. Cette mise en abyme est alors l’occasion pour les acteurs de l’histoire de contempler leur propre destin et de débattre de leurs motivations et de leurs choix. J’ai commencé à réaliser ce film. La moitié des séquences ont été tournées et j’ai amorcé le montage de ces premières images. J’ai alors songé qu’une autre façon de rendre compte de ces événements était possible, en proposant au spectateur une expérience et un rapport à l’Histoire qu’un simple film ne pouvait pas proposer. Cette autre forme est celle d’une installation vidéo fondée sur la dualité entre deux camps adverses et entre deux représentations de l’Histoire. Münster, l’installation vidéo Münster sera donc à la fois un film et une installation vidéo. Ces deux formes proposeront une confrontation des assiégeants et des assiégés, mais alors que le film procédera par alternance, en associant souvent la voix-off du narrateur aux images en noir et blanc, l’installation vidéo opérera une véritable dissociation de ces deux univers. Pour cela, deux écrans se confronteront. Ils opposeront d’un côté les assiégeants sur leur colline et de l’autre la ville assiégée et les événements qui s’y dérouleront. Alors que les assiégeants raconteront l’histoire et la commenteront, les assiégés apparaitront au sein d’un film presque dénué de paroles. Ainsi le discours des vainqueurs, ceux qui décideront de la vérité historique, sera confronté à l’énigmatique mutisme des vaincus. Le spectateur aura alors à choisir entre deux mondes, à se construire son propre film et sa propre Histoire. Voilà plus précisément les caractéristiques de ce dispositif : Écran 1 : le naturalisme de la couleur L’un des deux écrans est en couleur. On y voit les deux assiégeants observant la ville fortifiée présente sur l’écran face à eux. Cette situation est une métaphore de notre rapport à l’Histoire. Le passé est avec ses mystères, à l’abri des remparts du temps. Nous sommes comme des assiégeants qui s’interrogent sur les événements qui se déroulent face à eux. L’un des deux assiégeants est un narrateur. Il est ainsi dans la position d’un historien qui s’efforce de nous offrir un récit juste et de nous apporter les éclairages nécessaires. Mais c’est aussi un guerrier, avec son expérience, sa routine et ses doutes. Il raconte le siège à un autre assiégeant, le candide, un personnage venu d’ailleurs, voire d’aujourd’hui, et qui apporte avec lui la distance de l’ignorant. Un silencieux pierrot qui s’interroge sur le monde, et accorde à son ami, cultivé et volubile, le plaisir de dérouler son savoir. Tous deux attendent la chute de la ville, tels Vladimir et Estragon attendant Godot. Arborant les extravagantes tenues chamarrées des lansquenets du XVIe siècle, ils se tiennent sur une colline verdoyante et s’y livrent à des activités quotidiennes, repas, lessives, jeux divers et torture de prisonnier, à l’occasion. Ce paisible désoeuvrement, traité avec naturalisme et humour, contraste avec les événements présents sur l’autre écran, pour mieux en révéler la violence. Écran 2 : le noir et blanc du mythe Sur le deuxième écran se trouve le véritable sujet : les anabaptistes et l’édification de leur utopie. Ils sont figurés par un noir et blanc stylisé pouvant évoquer l’expressionisme d’un film muet. Cette imagerie s’écarte ainsi de toute reconstitution réaliste. Il s’agit plutôt d’une vision mythifiée de l’Histoire. Tout comme dans la version film, certains anabaptistes vont soudain être les spectateurs de leur propre histoire. Mais cette fois, c’est sur l’écran en couleur qu’il surgiront, pour mieux prendre du recul vis-à-vis des événements historique, contester leur représentation et s’interroger sur le sens de leur propre aventure. La réalisation Pour élaborer ce dispositif, très différent de celui du film, j’ai écrit un scénario propre à l’installation. J’ai travaillé le montage spatial, le rythme, les associations produites et les digressions possibles. Il en a résulté plusieurs choses : – Les dialogues sont plus rares que dans le film, de manière à accentuer le récit par l’image et à offrir une expérience plus contemplative, plus appropriée à la situation de l’exposition. – De nombreux nouveaux plans devront être réalisés, afin que les deux mondes dialoguent continuellement, telles les deux parties d’un duo musical. – Le montage sonore sera conçu de manière guider le visiteur. Si celui-ci est occupé à regarder les deux soldats qui conversent, il sera alors invité observer l’action qui aura repris sur l’autre écran. – L’installation aura sa durée propre. Elle racontera une histoire, avec un début et une fin. Cette histoire pourra être prise en cours, mais il sera également possible de la suivre dès son commencement. Pour cela, la durée totale fera moins d’une heure, de sorte qu’à heure fixe, une nouvelle diffusion pourra commencer. Compte tenu de cette durée assez longue, des assises seront proposées aux visiteurs. La dualité de l’Histoire Face à ce diptyque, les visiteurs seront confrontés aux deux faces d’une même histoire. Lorsque d’un côté, le récit se fera en images et en noir et blanc, de l’autre les assiégeants demeureront là, attendant silencieusement la chute de la ville ou se livrant à leurs activités ordinaires. Et inversement, lorsque le dialogue reprendra du côté de assiégeants, la ville et ses acteurs seront toujours là, maintenant la présence de leur rêverie condamnée. À d’autres moments encore, des dialogues s’échangeront d’un écran à l’autre, manifestant ainsi la dialectique de la vérité historique. Tout du long, les visiteurs seront libres de poser leurs yeux d’un côté ou de l’autre, de choisir entre le présent de ces soldats-historiens un peu farfelus et le mirage d’une folle et tragique utopie. Martin Le Chevallier